Mithridatisation adverse

Port altier, dresse code, bien se tenir, la tête haute…etc, etc l’homo erectus est en soi un dispositif d’images. L’image nous habite et nous entoure à la fois. Pour forger notre imaginaire, l’image qui nous habite est en permanence confrontée aux images qui nous entourent.

Ainsi deux idéations parfaitement complémentaires et indivis se fécondent pour donner naissance à notre imaginaire : la première consiste en une immersion dissolvante dans l’image, à l’inverse, la seconde procède de l’extraction, c’est à dire s’extraire de l’image aux fins du recul critique requis par la raison. Ce binôme indivis est fortement ressenti dans les rêves au cours du sommeil paradoxal, lorsque la conscience du rêveur découvre qu’il peut modifier le scénario du rêve, quand le rêveur se sent faire partie du rêve qu’il produit. La psychanalyse estime que nos rapports à l’image ressortissent des émotions ressenties au contact de la peau maternelle : « les images sont nos mères intentionnellement adoptives ».

La dyade mère-enfant est une entité unique, elle est présente dans les soubassements de notre individuation : « un bébé, tout seul, ça n’existe pas » affirme Winnicott avant de définir l’espace transitionnel comme étant celui dans lequel l’enfant devient capable d’édifier un pont virtuel entre l’autre et lui, d’entrer dans une dynamique relationnelle, de s’ouvrir à la symbolisation et à laisser s’exprimer librement toute sa créativité. L’usage de l’aire transitionnel est une méthode instinctive de sevrage qui rend moins pénible la reconnaissance de la réalité apodictique, dite concrète.

Comme dans le rêve, le binôme indivis est en plein exercice lorsque l’émotion à son comble laisse le spectateur en pamoison devant une grande œuvre d’Art, par exemple la Joconde au Louvre ou bien devant la superbe joute verbale supposée entre John Adams et le Roi George III d’Angleterre, une fabuleuse prosopopée réputée laisser tous les visiteurs du musée « Tea Party » à Boston en apesanteur. L’expression la mieux aboutie de la congruence harmonieuse du pathos, de l’ethos et du logos est la catharsis émotionnelle. Elle est écourtée, minorée, réduite par l’individualité des expériences.

Ainsi, au cours d’un spectacle, l’expérience émotionnelle cathartique est l’effusion que tout virtuose espère pour son auditoire. De fait le transport cathartique du spectateur consacre la perfection iconologique de l’expression artistique respectueuse du binôme indivis. Au spectacle, l’adhésion pleine et entière quant à la réalité des phénomènes visuels, auditifs et même olfactifs ne devrait guère s’opérer sans laisser à chacun, la possibilité de s’extraire de l’illusion induite ou pire de la confusion. La négation de la noblesse de cette ouverture caractérise la pornographie.

Celle-ci à dessein refuse au spectateur toute possibilité de s’extraire de l’image aux fins du recul critique indispensable à la raison. Le visionnage de la pornographie encage le sujet dans une illusion émotionnelle vive et instinctive dans la promesse de l’acmé orgastique qui in fine s’avère insatisfaisante chaque fois, induisant constamment la grande déception de l’infortuné. La dérive de Portnoy. S’installe alors une multiplication de l’individualisation des expériences et par la suite, une mithridatisation déshumanisante, misérable et frénétiquement toxique.

La thérapeutique consiste à préciser de novo l’espace transitionnel du patient afin de lui proposer un schéma d’évolution reposant sur sa propre créativité, le soignant n’accompagnant qu’en qualité de thérapeute-conseil.

« Aider le petit d’homme à se dégager de cet infantile pour accéder à la conscience que l’univers n’est pas réductible à ce qu’il peut en penser, que le monde et les autres peuvent lui résister, qu’il n’a pas le pouvoir absolu sur les êtres et les choses  » Ph.MEIRIEU